Eva & Georges 4 janvier 1989 — une naissance surprenante. Elle était là, resplendissante malgré l'épreuve difficile qu'elle venait de vivre. L'ambulance arrêtée, à moitié sur le trottoir, venait de couper sa sirène. Eva souriante, tenait son bébé dans les bras. Georges, les larmes aux yeux, n'en revenait pas. Il était enfin père. « On va en avoir des choses à raconter ! » Il rit. Sa femme venait d'accoucher dans le taxi. Le conducteur était d'ailleurs encore présent, il se ventait auprès des ambulanciers d'avoir sauver la vie d'Eva. Georges n'avait même le courage d'aller le contredire et se contentait de caresser le crâne de sa fille, Alice. « J'ai hâte d'emmener ce petite trésor à la maison ! » Ça n'était pas pour tout de suite. Sa femme et le bébé devraient d'abord faire un court séjour à l'hôpital pour vérifier que tout c'était bien passé comme ils le pensaient. Ils venaient d'emménager dans leur première maison, non loin du Cricket Club où ils travaillaient tous les deux. Georges dans l'administration et Eva en cuisine. C'était grâce à l'entreprise de Bennett père qu'ils s'étaient d'ailleurs rencontrés.

Jeune Alice 13 juin 2004 — la maladie. Elle avait mal. Au creux du ventre, dans les jambes. Elle avait chaud, glacée pourtant jusqu'à l'os. Elle était déprimée en plus de tout. C'était bientôt l'été et, comme depuis plusieurs mois, elle allait être incapable de sortir de sa chambre. Elle ne voyait plus ses amis, seulement Charlie qui passait la voir de temps en temps, quand sa mère ne lui faisait pas une scène pour l'en empêcher. On ne savait toujours pas clairement ce qu'elle avait. C'était ça le plus déprimant. Ne pas savoir combien de temps elle allait être dans cet état. « Maman ? » Elle avait vu une ombre sous sa porte. Sa mère passait son temps à venir vérifier son état, à prier à son chevet. La porte s'ouvrit et elle découvrit sa mère, le visage blafard, les yeux vitreux, on aurait pu croire que c'était elle qui était malade. « Comment vas-tu ma chérie ? » Alice n'en pouvait plus de cette question. Elle revenait en boucle, tout le temps, mais elle n'allait jamais mieux. « Le docteur a appelé, les derniers examens confirment son premier diagnostic, ça ne serait que la mononucléose mon coeur.  » Un sourire illumine un peu son visage. On leur avait parlé de lymphome, de maladie auto-immune. Après avoir fait un long séjour à l'hôpital, enduré une biopsie, être restée coupée du monde, c'était  « juste » ça. Alice venait de subir un choc. Elle n'était pas tirée d'affaire, cela pouvait encore durer longtemps, mais elle qui croyait mourir à petit feu pourrait finalement vivre. Vivre comme n'importe quelle adolescente.

Mila 24 septembre 2006 — l'amour fou. Elle était belle Mila. Son parfum aussi doux que celui de l'herbe fraîchement coupée, de la pluie sur le bitume, de la caresse du soleil un matin d'été. Son odeur lui rappelait un tas de souvenirs. Elle aimait l'observer, nue sous les draps, quand elle ne s'inquiétait pas encore de l'heure tardive. Elle aimait s'allonger à ses côtés et la regarder, bouche ouverte, un sifflement adorable sortant de ses narines. Elle était en adoration devant cette femme magnifique qui l'avait choisie. Souvent, Alice se disait qu'elle n'était pas à la hauteur. Trop jeune. Trop bête. Trop incertaine. Mila était pourtant toujours là. Elle revenait à chaque fois, s'échappant en courant une fois le soleil couché. Elle détestait les Hamilton, pour empêcher Mila de s'accepter et surtout, d'accepter leur relation. Leur bonheur ne durait que quelques heures. Un court instant avant de retourner à la vie réelle. Alice avait une très bonne relation avec ses parents et jamais elle n'aurait honte de leur dire qu'elle aimait les filles. Qu'elle aimait Mila. Ils étaient trop peu discrets, les deux jeunes femmes avaient donc décidé d'attendre que la jeune Hamilton soit prête. Elle ne le serait peut-être jamais.

Des mois. Un an. Alice a attendu. Impatiente. Elle avait hâte de pouvoir se balader main dans la main avec Mila. Hâte de pouvoir pique-niquer au milieu du parc. Hâte de pouvoir lui crier tout son amour. Cette envie est rapidement devenue plus forte que la passion. Ce besoin de vivre et non de survivre. Elle a prévenu. Plusieurs fois. « Alors tu vas me perdre, Mila. Si tu n’arrives pas à les perdre, tu vas me perdre. C’est comme ça. Je ne peux plus vivre dans la peur, dans le secret. Je ne veux plus vivre comme ça. Fais le bon choix Mila, fais-le pour nous. » Pour Alice, c'était simple, jamais ses parents ne lui auraient tourné le dos pour une question de goût. Elle était prête à lire de la déception dans leurs regards, mais rien de plus. La peur était trop forte pour Mila et rien n'avait changé, alors Alice était partie. Le coeur brisé. Les larmes ruisselantes. Alice était restée cloitrée dans sa chambre plusieurs jours. Ses parents, inquiets, pensèrent même qu'elle était à nouveau atteinte de la mononucléose. C'était pire, c'était son premier chagrin d'amour. Elle leur avait tout avoué après plusieurs semaines, contrairement à ce qu'elle pensait, sa mère réagit assez mal, mais elle trouva rapidement les mots pour la réconforter. L'espoir de marier sa fille a un homme ne l'a jamais quitté. Son père, quant à lui, confirma qu'il ne désirait que son bonheur, peu importe le prix. 


Charlie 4 janvier 2020 — il n'y a pas d'amour parfait. Il est beau Charlie. Confiant, gentil et attentionné, Alice est souvent étonnée de le voir aussi serviable. Il ne se met jamais en avant, n'aime pas qu'on le remarque lorsqu'il arrive dans un évènement. Ils ne se ressemblent pas tellement et c'est sûrement ça qui les rapproche tant. Amis depuis l'enfance, la famille de Charlie passait tout son temps libre au Cricket Club, comme les Bennett. Méfiante au départ, la petit Alice avait rapidement compris qu'elle pourrait compter sur Charlie. Il couvrait ses bêtises, la conseillait pour ses devoirs et la défendait lorsque certaines filles du collège, jalouses, tentaient de l'humilier. Il était parfait avec elle.

Malgré les années, ils sont restés soudés. Charlie et Alice vivent ensemble depuis trois mois, un magnifique appartement du centre ville où ils ne se croisent que rarement. C'est peut être mieux ainsi. L'amour survit. Elle se demande souvent si Charlie l'aime sincèrement ou si, comme elle, il n'espère juste rien trouver de plus. Si plus rien dans une relation durable ne semble l'exciter. Si, lui aussi, a subi un tel choc, un tel drame en matière d'amour qu'il s'est finalement dit que tout ça n'en valait pas la peine.

Ils viennent d'une bonne famille, ils ont chacun des métiers passionnants, un salaire qui leur permet de vivre très confortablement. Ils n'ont pas de quoi se plaindre et pourtant, Alice, au fond d'elle, donnerait tout pour ressentir les gargouillis dans le creux de son estomac, les palpitations grâce à une simple caresse, le feu d'artifice quand ses lèvres touchent celles de l'être aimé. Elle a connu ça, il y a plus de dix, et depuis, son cœur arraché, meurtri, ne semble plus capable d'aimer. Du moins, pas comme avant.

Charlie l'a demandé en mariage. Le jour de son anniversaire, devant toute leur famille et elle n'a pas pu dire non. Elle aimerait pouvoir enfin laisser un peu de bonheur entrer dans vie. Charlie veille sur elle depuis tellement d'années qu'elle est de toute façon incapable de vivre sans lui.


Alice 23 juin 2020 — vivre sans penser à demain. Elle déambule dans les couloirs du Cricket Club. Hoche la tête lorsque qu'elle croise les habitués et se forcer à aller saluer des nouveaux membres. L'opulence est présente. Les riches familles, un peu moins. Depuis la réunification, l'entreprise familiale a du s'adapter. S'adapter et rallier. Les non-magiques doivent rester unis. Les petits trafics, dont Alice ne s'occupe absolument pas pour le moment, sont devenus encore plus courant. Et ça va empirer. La jeune femme comprend son père, dans la société actuelle, il faut s'imposer et c'est ce qu'il a décidé de faire depuis qu'il a repris la gestion. Alice ne reconnait plus l'homme gentil et altruiste d'autrefois. Il est devenu narcissique et froid, sauf avec sa famille à qui il voue toujours un amour sans faille. Eva a bien changé elle aussi, les relations avec sa fille sont toujours un peu tendues, mais elle ne travaille plus avec son époux. Elle passe son temps à boire et à fumer en compagnie des autres membres de Cricket Club.

Un jour, tout ça sera à Alice. Elle n'est pas certaine de le vouloir. Elle n'arrive pas à s'imaginer abandonner son entreprise événementiel pour gérer le club et sa corruption cachée. Encore moins dans le climat actuel des choses. Heureusement, Charlie sera là pour l'aider et la soutenir dans ses choix.